Jamais de modèle !…

Etrange réalisation que celle d’une figure. Il ne s’agit pas pour moi, comme on pourrait de prime abord le croire, d’observer un sujet, de le dévisager pour l’envisager par la suite, de prendre des mesures, d’analyser, de le reproduire le plus exactement possible. Ma démarche est autre :
c’est qu’il faut au départ ignorer, oublier la surface, « partir de l’intérieur », le radiographier en quelque sorte. Franchir un tabou : écorcher mentalement –cela va sans dire !- le sujet, en anticipant pour ainsi dire son état futur, le mettre à nu le plus profondément possible, retirer la peau,
les muscles, reconstituer le crâne. Rejoindre l’inconnu, l’indicible, le non-vu.
Ensuite, faire le chemin inverse : reconstitution du sujet, mise en place de chacun des muscles jusqu’au satiné de la peau. L’incarner en quelque sorte. Ce n’est qu’ainsi qu’il pourra, selon moi, prendre vie. Mais, à ce stade, il reste encore un sujet idéal…il faut à présent repérer les incidents de la vie,
les douleurs, les joies qui ont su si véritablement modeler ce visage. L’appréhender pour mieux le saisir. Suivre tous ses sillons. Le déchiffrer. Deviner l’humain pour mieux le rejoindre et par là-même franchir l’interdit, entrevoir le secret que chacun renferme en soi. Intrusion-effraction dans l’intime. Dépouillement de l’individu. Mise au jour de son « moi ». Visage enfin révélé, mis à nu,
dans toute son humanité…